mercredi 1 octobre 2014

Les brigades poétiques. 28 Septembre 2014

Piochez les mots...
Lectures au cours de la randonnée des Rencontres sur le plateau.


"Partir de leurs histoires, leurs racines, leurs origines...pour arriver aux nôtres.

Partir d'eux pour arriver à nous. Dérouler dès lors "le fil de soi"

L'arbre démarre en terre, le tronc continue et renforce l'édifice généalogique, et ces branches sont celles du devenir.

Si l'ont renversait ce bâtiment, nous aurions accès à tout un monde oublié, caché...
Mais qui ici, à certains endroits, se révèleront et nous parleront du passé.
Racines cachées
Racines oubliées
Racines exilées
Racines empruntées
Et pour nourrir tout ce petit mondes des déracinés : racines à déguster!
Chers tous,
si le pas vous en dit, nous parcourrons ensemble le chemin,
si l'oreille vous emmène, nous viendrons deci delà vous dire,
et, si le mot (et la main) vous entraînent, nous serons cueilleurs de vos racines." 
 
Cie De Travers
 







A l'assaut de l'île
Enracinez-vous
Faites-en litière
Croquez ses cailloux
Buvez ses rivières
A l'assaut de l'île
La terre est devant
Sus à l'an deux mille
Fleur entre les dents


Rose entre les dents
A l'assaut de l'île
La terre est devant
Sus à l'an deux mille
Descends de ta hune
Foutu timonier
Hissez haut la lune
Et pas de quartier


Et pas de quartier
Hissez haut la lune
Chacun son palmier
Chacun sa chacune
Creusez sous la plage
Inventez de l'eau
Lancez les cordages
Coulez vos bateaux


Coulez vos bateaux
Lancez les cordages
Les vents sont nouveaux
Tous à l'abordage
Tenez bon corsaires
Le coeur à la main
C'est l'anniversaire
De nos lendemains


Coulez vos bateaux
 Lancez les cordages
Les vents sont nouveaux
Tous à l'abordage
Tenez bon corsaires
Le coeur à la main
C'est l'anniversaire
De nos lendemains


De nos lendemains
C'est l'anniversaire
Deux poignées de main
Pour deux millénaires
Abaissez les voiles
Bâtissez des ponts
Abordez l'étoile
Baissez pavillon
Percez pavillon
Abordez l'étoile
Foutu moussaillon
Esclave de cale
Mangeons cette terre
Cognons-y genoux
Faites-en litière
Enracinez-vous


Faites-en litière
Croquez ses cailloux
Buvez ses rivières
A l'assaut de l'île
La terre est devant
Sus à l'an deux mille
Fleur entre les dents
A l'assaut de l'île


La terre est devant
Sus à l'an deux mille
Fleur entre les dents


 A.Leprest/R.Didier

 





Un homme qui dort


"Ici tu apprends à durer. Parfois, maître du temps, maître du monde, petite araignée attentive au centre de la toile, tu règnes sur Paris : tu gouvernes le nord par l'avenue de l'Opéra, le sud par les guichets du Louvre, l'est et l'ouest par la rue Saint-Honoré
Parfois, tu tentes de résoudre l'énigmatique visage qu'ébauche peut-être le jeu complexe des ombres et des gerçures sur un fragment du plafond, yeux et nez, ou nez et bouche, front que nulle chevelure n'arrête, ou bien le dessin précis de l'ourlet d'une oreille, l'amorce d'une épaule et d'un cou.
Il y a mille manières de tuer le temps et aucune ne ressemble à l'autre, mais elles se valent toutes, mille façons de ne rien attendre, mille jeux que tu peux inventer et abandonner tout de suite.
Tu as tout à apprendre, tout ce qui ne s'apprend pas : la solitude, l'indifférence, la patience, le silence. Tu dois te déshabituer de tout : d'aller à la rencontre de ceux que si longtemps tu as côtoyés, de prendre tes repas, tes cafés à la place que chaque jour d'autres ont retenue pour toi, ont parfois défendue pour toi, de traîner dans la complicité fade des amitiés qui n'en finissent pas de survivre, dans la rancœur opportuniste et lâche des liaisons qui s’effilochent."
                                              
Georges Perec



                                                                                                                          






Commentaires de dessins


« Je me souviens dans une existence perdue avant de naître dans ce monde-ci avoir pleuré fibre à fibre sur les cadavres dont les os poussière à poussière se résorbaient dans le néant. Ai-je connu leur anatomie ? Non, j'ai connu l'être en lambeau de leurs âmes dans chaque petit os de poussière qui gagnait les ténèbres premières et de chaque petit os de poussière j'ai eu l'idée dans la musique sanglotante de l'âme de rassembler un nouveau corps humain.
Ce dessin représente l'effort que je tente en ce moment pour refaire corps avec l'os des musiques de l'âme telle que gisant dans la pandore boîte, os soufflants hors de leur boîte, et dont l'emboîtage des terres boîtes, mousse sur mousse appelle l'âme toujours clouée dans les trous des deux pieds. Boîte sur boîte l'âme a monté dans la chair adipeuse des jambes, que le corps du souci pointille de rouge, comme les marques d'un sang par des sanglots craché. – Ainsi l'os dans la chair est vivant, non d'une musique d'atomes, mais du rythme canon spasmodique, d'un canon toujours armé en guerre et qui toujours se sent près de tonner dans l'écorchure de son cœur. Que tonnera-t-il ? La dent du coccyx appuyée comme une vielle dent qu'enracine sa rage contre l'humanité.
Il y a un être dans mon cœur, il y en a un dans chaque épaule et mon cœur de sa racine propre, verte avec deux têtes monte et descend.
Couti en grec veut dire boîte ; d'arbac, de l'arbre de la vie, qui arbac par arbac comme arbre par arbre, ira cata scata au bout de toute scatologie, et couti d'arbac arbac cata les os de toute âme sema. »

ARTAUD Antonin, « Commentaires de dessins », in Œuvres, éd. Gallimard, coll. « Quarto », Paris 2004 (1945) .








Des couteaux dans les poules

William.
Avant, je m'étendais là et les chevaux broutaient lentement autour de moi. Une fois j'ai regardé et tout ce qui est mon corps était parti le dedans dehors. Tout ce qui est moi sur un cercle d'herbe en dehors. Rouge. Mouillé. Cœurs de lapins noués avec de la salive de vache. En ai jamais rien dit. Des nuages sortaient de moi pareil à quand j'ai tiré un nouveau cheval dehors en décembre. Presque parti maintenant, ça. Avant qu'il fasse sombre je les ai rentrés, en bas du village aux écuries, avec ce champ encore dans ma tête. Pourquoi ça m'est venu ? Etais qu'un enfant. Aurais pu vivre dans ce champ-là toute ma vie s'ils m'avaient laissé. La boue pue.

Jeune femme.
Le vent souffle . Le soleil brille. Les moissons grandissent. Le ciel – … L'oiseau – vole. Les nuages – … L'arbre... Quoi ? Se dresse. L'arbre se dresse. Le ciel – … Le ciel – … Le lapin court. Les nuages – … courent ? … grandissent ? Les feuilles sur l'arbre – … pendent ? Le ciel – … Le ciel – …

HARROWER David, Des couteaux dans les poules, éd. L'Arche, Paris 1999 (1995).






Histoire d'un voyage faict en la terre du brésil

« Combien que ces farines, nommément quand elles sont fraisches, soyent de fort bon goust, de bonne nourriture et de facile digestion : tant y a neantmoins que comme je l'ay experimenté, elles ne sont nullement propres à faire pain. Vray est qu'on en fait bien de la paste, laquelle s'enflant comme celle de bled avec le levain, est aussi belle et blanche que si c'estoit fleur de froment : mais en cuisant, la crouste et tout le dessus se seichant et bruslant, quand ce vient à couper ou rompre le pain, vous trouvez que le dedans est tout sec et retourné en farine. Partant je croy que celuy qui rapporta premierement que les indiens qui habitent à vingt deux ou vingt trois degrez par-dela l'Equinoctial, qui sont pour certain nos Toüoupinambaoults, vivoyent de pain fait de bois gratté : entendant parler des racines dont est question, faute d'avoir bien observé ce que j'ay dit, s'estoit equivoqué.
Neantmoins l'une et l'autre farine est bonne à faire de la boulie, laquelle les sauvages appellent Mingant, et principalement quand on la destrempe avec quelque bouillon gras : car devenant lors grumeleuse comme du ris, ainsi apprestée elle est de fort bonne faveur. »

DE LERY Jean, Histoire d'un voyage faict en la terre du brésil, éd. Le livre de poche, coll. Bibliothèque classique, Paris 1580. 







Les grands horizons
Où sont nos jambes à nos cous
Nos tire-d'ailes, nos 400 coups
Nos Sahara de bacs à sable
Nos petites danseuses arabes
Où sont les nuages goulus
Qui déboulaient sur les talus
Comme des troupeaux de bisons ?
Où sont nos mappemondes vierges
Nos frissons, nos festins de neige
Nos à-plus-soif, nos fronts têtus
Toutes nos brides rabattues
Où sont nos ratures ou sont-elles
Nos cicatrices immortelles
Les fissures de nos prisons
Où sont les grands horizons?
Où sont nos zéros de conduite
Nos lassos, nos lignes de fuite
Nos pertes de vue et d'haleine
La cantine bleue des baleines
Nos espadrilles de sept lieues
Quand on jouait à saute-banlieue
Vers nos ages de déraison ?
Où sont nos voiles et où sont elles
Nos banderoles de dentelles
La face cachée de nos yeux
Et nos Vésuve silencieux
Nos rages et nos à-bout-de-souffle
Qui donc a tricoté des moufles
Sur nos points d'interrogation ?
Où sont les grands horizons?
Peut-être on était pas de taille
On est passé entre les mailles
Ou bien on n's'est pas aperçu
Que notre orgueil marchait dessus
A moins que nos dernières boussoles
Désossées au dernier sous-sol
Sucent les racines du gazon
Faudrait pas recoudre les trous
Du fond des poches de Rimbaud
Faudrait q'on s'aime, qu'on s'ébroue,
Et qu'on se trouve un peu moins beaux
Sur la peau grise des pavés, hisser haut
Le verbe rêver
Jusq'aux cils de nos maisons
Hissons les grands horizons

Allain Leprest/ Romain Petit Didier 2004









Mon pays est Caux


"Des rivières de verdure qui voudraient s'affranchir de tout.
Rire, encore et toujours le long des rus.
Se moquer de nos voitures embourbées.
Un paysage aussi tendre que dur équivalant à toutes les mers du monde.
Des champs pour plages.
Des notes de gris de bitume enlacent la douceur abrupte du coin.
Un arbre ou 2 pour arrêter la pluie on vous l'a dit.
Les anciens boivent et on tête not'goutte à leurs paroles.
Le cidre délie mais ça n'est pas un crime.
Plus de calva' dans les biberons, on est pas de là-bas et on a grandit…
Je sais que j'y suis, j'essuie.
Et là je sais que j'y suis.

Goupil Charlotte







Bloody Niggers


    [...] Civilisation, démocratie, droits de l’homme

    Trois fois rien
    Trois coups d’esbroufe et de magie
    Trois fois la haine et le mépris
    Trois fois le silence et le déni
    Trois millions de mille ballons
    Marre
    De cette salade trop verte

    Marre

    Civilisation, mon œil
    Démocratie, mon doigt
    Droits de l’homme, mon poing dans la gueule

    Pour trois mille américains
    Cris et hurlements
    Deuil international et châtiment planétaire

    Pour des centaines de milliers de Soudanais, rien
    Pour des centaines de milliers de Tchétchènes, rien
    Pour des centaines de milliers d’Algériens, rien
    Pour un million d’Irakiens affamés, que dalle
    Pour un million de Rwandais égorgés, rien
    Trois fois rien
    Des vessies, des ballons, des bulles de savon
    Trois millions de fois le mépris planétaire

    Droits de l’homme, bonjour
    Que veulent dire ces mots dans la bouche de ceux qui ne pleurent que les leurs ?
    Quel sens ont-ils pour ceux que n’indignent que les crimes d’en face ?
    C’est quoi les droits de l’homme quand on est à ce point sourd au sort d’autrui ?

    Liberté, égalité, fraternité
    Surdité, anesthésie, amnésie

    A quoi servent ces rimes creuses qui rythment vos messes
    Vos leçons bon marché pour la terre entière
    Liberté, mon œil
    Egalité, toi-même
    Fraternité, ma main sur ta tronche

    Je t’extermine, je t’asservis, je te civilise
    Je te pille, je t’affame, je te bombarde, je te démocratise
    Tu pètes un mot, je t’éclate et j’hiberne

    Silence
    Droits de l’homme ? Mon doigt
    Où sont dans vos larmes les peuples indiens ?
    Où sont dans vos commémorations les millions d’esclaves africains ?
    Où sont dans vos livres et dictionnaires épais les crimes coloniaux ?
    Où sont dans vos rues, sur vos monuments les combattants de la liberté ?
    Où sont les marrons magnifiques qui soulevaient la montagne ?

    Où sont passés, dans les colonnes de vos journaux, les Algériens massacrés sous vos yeux
    Sur les bords de la Seine en soixante et un, en plein Paris ?

    Rien
    Des vessies, des ballons, des bulles de savon

    La France officielle – c’est son châtiment symbolique
    Adore se mettre en scène avec la morgue d’une actrice en fin de carrière
    Dont la croupe trépidante est sollicitée par des talons aiguilles
    Dont la poitrine surabondante menace d’exploser au prochain pet
    Qui cligne sur des photographes en pamoison des yeux dégoulinants de mascara
    Pour dire d’une bouche contrefaçon gorgée de collagène
    Je suis la plus belle

    Vous les Nations dites civilisées
    Comment vous suivre dans votre guerre contre la terreur
    Quand vous masquez votre terreur
    Que vous relativisez vos crimes
    Que vous les classez sans suite

    Oui, on sait tout cela dites-vous, oui ceci, oui cela
    Le massacre des Indiens, l’esclavage des Noirs
    Tout ça c’est du passé et alors
    Et alors ?
    Alors quel avenir
    Quel avenir ensemble si ce passé-là vous laisse de marbre ?
    Quelle conscience peut émerger d’une telle amnésie ?
    Quel Bien attendre d’une oreille aussi sourde ?

Extraits de BLOODY NIGGERS de Dorcy Rugamba





Rencontres sur le plateau
  


Brigades poétiques

Avec :
MARQUET Tiphaine
DENHAERYNCK Marion
GOUPIL Charlotte
D'ARCO Stephen

Photos: 
DENHAERYNCK Julie

Soutien :
DENHAERYNCK Jacqueline
GOUPIL Sylvie

Association "A la découverte de nos villages" 

Association "Terre de liens"











 


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